Manuel Chrysoloras (1355-1415)
Manuel Chrysoloras est un philosophe et écrivain né à Constantinople en 1355. Il est l’une des pièces maîtresses du rapprochement entre grecs et latins aux XIVème et XVème siècles. Cependant, pour présenter utilement Manuel Chrysoloras, il est nécessaire de contextualiser l’époque qui fut la sienne.
Pétrarque meurt en 1374 et Boccace l’année suivante. Le flambeau de la renaissance des lettres antiques est repris par leur ami Coluccio Salutati, un humaniste florentin assurant l’équivalent de la fonction de ministre des affaires étrangères. Son ambition est affichée : mettre à l’honneur la langue et la culture grecque en installant un professeur dans la cité italienne.
Géographiquement, les grecs sont à proximité, de l’autre côté de la mer Adriatique, par-delà les Balkans mais la situation de l’empire romain d’orient (Cf. la chronique Kairos sur le sujet, notamment son appellation) est critique. En effet, les possessions romaines se réduisent à Constantinople, à son arrière-pays en Thrace et au despotat de Morée (péninsule du Péloponnèse).
Côté latin, la situation se complexifie pour les monarchies occidentales car elles font désormais face à un islam structuré, hiérarchisé et puissamment articulé sur les anciennes terres byzantines et nord-africaine. A cela s’ajoute l’échec désormais acté des croisades depuis la perte de Saint-Jean d’Acre en 1291 et l’anéantissement des Etats latins d’Orient.
Dans ces circonstances, pourquoi grecs et latins n’ont-ils pas échangé davantage et, surtout, plus tôt ? La faute à une situation diplomatique catastrophique depuis le schisme de 1054 entre catholiques (côté latin) et orthodoxes (côté grec), de nombreuses altercations pendant la période des croisades et, comble de l’horreur pour les byzantins, la prise de leur capital pendant près de 60 ans (1204-1261) par les croisés sur demande des vénitiens.
Néanmoins, la curiosité des latins pour le savoir grec est proportionnel à ce lourd passif : colossale. Homère, Thucydide, Platon, Hérodote, etc… Autant d’auteurs dont la portée est immense mais dont les traductions sont inexistantes ou de piètre qualité. Malgré le travail de traduction du grec vers le syriaque puis vers l’arabe opéré depuis des siècles, le résultat est loin d’être jugé satisfaisant.
C’est dans ce contexte qu’intervient Manuel Chrysoloras, l’homme qu’attendait Coluccio Salutati. Diplomate, familier de l’empereur, il arrive à Florence entre 1396 et 1397 et s’installe dans la future ville des Médicis durant trois ans. Il apporte avec lui une collection de manuscrits et ne tarde pas à devenir enseignant. Il rejoint ensuite son empereur à Pavie où il poursuit son œuvre de transmission pendant trois autres années avant d’accompagner le souverain pour chercher du soutien contre les Ottomans.
L’érudition du grec impressionne son auditoire qui se presse pour l’entendre transmettre un savoir millénaire. Il apprend le latin sur le tard et devient rapidement expert. Véritable pont civilisationnel entre le reliquat d’un illustre empire à l’agonie et une Italie à l’aube de son quattrocento, les humanistes se pressent à ses cours car, en plus d’enseigner sa langue natale, il expose les principes de la traduction selon le sens en refusant le mot à mot grotesque qui était d’usage chez les porteurs du savoir scolastique.
De ces quelques années de rencontres fructueuses découlent une génération d’hellénistes militants qui enseignent à leur tour et seront à l’origine de la traduction de la plus grande partie de la littérature grecque antique. Ils seront aidés par l’ouvrage de leur maître (les Erotemata, véritable best-seller durant des siècles) et par la finesse de ses traductions latines de la République de Platon et de la Géographie de Ptolémée.
Ainsi, Manuel Chrysoloras ouvre la voie à ses pairs constantinopolitains qui émigrent vers l’Italie à partir du concile de Florence (1437-1441) et affluent suite à la prise de la seconde Rome en 1453. Le diplomate permet à sa civilisation de perdurer et est suivi par Gémiste Pléthon, Bessarion, Georges de Trébizonde et bien d’autres qui participent au mouvement de la renaissance.
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Le Monde byzantin, Tome III, L’Empire grec et ses voisins, xiiie siècle-xve siècle par Cécile Morrisson
La gloire des grecs par Sylvain Gougenheim
From Byzantium to Italy, Greek Studies in the Italian Renaissance par Nigel Guy Wilson