L’Utopie de Thomas More (1516)
L’Utopie est un ouvrage surprenant publié en 1516 par Thomas More, soit 1 an avant que Luther ne placarde les 95 thèses qui conduiront à la réforme protestante. Directement inspiré par La République de Platon, le thème est celui d’un autre monde imaginé par le philosophe – et juriste – anglais comme un appel humaniste adressé à chaque Homme : une autre société est possible.
L’inspiration platonicienne n’est pas le fruit du hasard. En effet, l’ouvrage est rédigé lorsque le savoir antique est largement redécouvert par les intellectuels occidentaux et que les érudits constantinopolitains fuient leur capitale après la conquête des Ottomans. L’aspiration à la noblesse et la magnificence est palpable à l’échelle d’une Europe enivrée par la sagesse gréco-romaine.
Après une première partie prenant les allures d’une diatribe contre l’état des sociétés française et anglaise, le récit de la seconde partie est celui d’un voyage imaginaire au sein d’une île (esprit britannique oblige) aux côtés de Raphaël Hythloday.
L’objectif de cette critique politique et du récit fictionnel, mélange de deux styles dissemblables certes, est d’appeler à une remise en question d’un statu quo favorisant l’enrichissement à outrance et l’affaissement d’une quelconque loi morale. En ce sens, l’Utopie développe trois axes complémentaires :
– Nourrir l’espoir d’une société morale et honnête via un récit fictionnel qui pousse le lecteur à participer volontairement à une transformation du monde réel ;
– Souligner le caractère perverti des institutions contemporaines en présentant un modèle d’organisation idéal par les yeux d’un personnage (le procédé consistant à faire porter la critique par un regard étranger n’est pas sans rappeler Les lettres persanes de Montesquieu) ;
– Appeler à la contestation politique du pouvoir via l’espoir en faisant voir qu’une autre société peut voir le jour et satisfaire les aspirations profondes des hommes et des femmes excluent des cercles du pouvoir.
Thomas More, déjà impliqué dans les milieux politiques, se trouve confronté à la difficulté de transposer dans le monde réel les aspirations philosophiques qui étaient les siennes. Avec la conquête du nouveau monde encore récente mais dont les retombées économiques sont déjà colossales, il ne peut que déplorer la montée en puissance des échanges de devises et du commerce qui donneront naissance aux premiers colosses capitalistes sous les traits de multiples compagnies des Indes (ex : compagnie des Indes britanniques en 1600).
Pareil à un Stoïcien en décalage avec son temps, il maintient une posture ferme articulée autour de l’obéissance à la morale et du pragmatisme quant aux désordres provoqués par la réforme luthérienne susmentionnée afin que le pouvoir profite aux Hommes et non aux puissants. Devenu grand chancelier d’Angleterre en 1529, il sacrifie sa propre vie sur l’autel de ses principes lorsqu’il s’oppose au roi Henri VIII désireux de divorcer de son épouse (Catherine d’Espagne) pour prendre la main d’Ann Boleyn.
Refusant de devenir complice d’un pouvoir autoritaire faisant fi des lois pour le bon plaisir d’un souverain désireux de devenir le chef de l’église, il est condamné à mort par décapitation le 6 juin 1533 et laisse au monde l’exemple d’un philosophe moderne prêt à mourir pour la morale.
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