Piotr Kropotkine (1842-1921)
Issu de l’aristocratie moscovite, Piotr Alexeïevitch Kropotkine entame une brève carrière militaire après avoir été page à la cour du tsar. Affecté en Sibérie, il se consacre finalement à des études et travaux en matière géographique, anthropologique et sociologique. De fait, et au désespoir de sa famille, il renonce à une carrière de militaire de haut rang pour se consacrer à la science.
Au gré de ses rencontres, en France, en Russie et en Suisse notamment, il s’affranchit du milieu intellectuel familial pour adhérer à l’anarchisme tel qu’il est théorisé par Pierre-Joseph Proudhon et au socialisme dérivé de la pensée d’Alexandre Herzen. Sans surprise, il participe à la 1ère Internationale après un séjour en Suisse (1872) où il se lie d’amitié avec les anarchistes de la Fédération jurassienne et son meneur Mikhaïl Bakounine.
L’apport de Kropotkine s’articule donc autour de deux axes. D’une part, une démarche résolument scientifique approfondie sur le sujet de l’évolution (son ouvrage de référence : L’Entraide, un facteur de l’évolution publié en 1902) et, d’autre part, une volonté de rationnaliser un anarchisme libertaire permettant aux hommes de vivre librement sans subir la pression d’un pouvoir autoritaire.
En matière scientifique, à la même époque que Charles Darwin, il envisage un monde animal diamétralement opposé à la vision cartésienne profondément arriérée. il s’attache à décrire une nature habile et astucieuse : « Des conditions meilleures sont créées par l’élimination de la concurrence au moyen de l’entraide et du soutien mutuel. Dans la grande lutte pour la vie — pour la plus grande plénitude et la plus grande intensité de vie, avec la moindre perte d’énergie — la sélection naturelle cherche toujours les moyens d’éviter la compétition autant que possible. »
L’homme n’occupe pas la place qui est la sienne grâce à sa force ou à son pur intellect, le genre humain a pu se développer grâce à une sociabilité inhérente à son état de faiblesse originel. Résolument, il érige un pont entre le monde animal et celui des hommes sur ce fondement : l’entraide ou rien.
En matière politique, sa réflexion est – comme nous l’avons vu – inspirée par ses recherches scientifiques conduites tantôt auprès de l’homme tantôt auprès de l’animal aussi bien en Mandchourie qu’en Europe. Elle est aussi ponctuée par de nombreuses périodes d’emprisonnement généralement abrégées par une évasion ou une amnistie. Il profite de l’un de ces séjours pour rédiger Dans les prisons russes et françaises (1887) et met en perspective – bien avant Michel Foucault et son Surveiller et punir – la question des prisons comme pivot d’une critique du pouvoir.
Qu’il s’agisse de la juste redistribution des biens ou de l’entraide, toute la réflexion Kropotkine repose sur une morale fondée sur la liberté, la solidarité et la justice permettant de dépasser les instincts destructeurs de la nature humaine. A cette fin, la science doit être bâtie sur des fondements éthiques et non pas sur des principes religieux ou économiques.
Figure tutélaire de l’anarchisme libertaire aspirant à établir un anarchisme scientifique, il est à l’initiative de nombreux mouvements de contestation européens du 19ème siècle et ses mots : « Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent. » demeurent une référence pour la pensée contestataire moderne.
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L’éthique de Kropotkine par Raphaëlle Beaudin-Fontainha
Pierre Kropotkine ou l’économie par l’entraide par Renaud Garcia